Le 6 mai 2025, les locaux de l’UNESCO à Yaoundé ont accueilli la deuxième édition des universités de la presse. Cette rencontre, organisée par le Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication, a rassemblé des experts de la communauté médiatique autour d’un thème brûlant : l’impact de l’intelligence artificielle (IA) et des réseaux sociaux sur la liberté de la presse. Le Dr Hervé Tiwa, enseignant-chercheur en sciences de l'information et de la communication et directeur exécutif de Med.IA Laboratory, a été interviewé par la rédaction de Centrifuge Hebdo pour qu’il partage sa vision sur les transformations profondes en cours dans le monde du journalisme.
Centrifuge Hebdo : En quoi l’intelligence artificielle transforme-t-elle le métier de journaliste aujourd’hui ?
Dr Hervé Tiwa : L’intelligence artificielle est une révolution technologique, mais aussi une transformation paradigmatique du journalisme. Elle redéfinit nos méthodes, nos pratiques, nos fondements mêmes. Tous les journalistes, y compris ceux encore en formation, doivent apprendre à l’utiliser. On ne peut plus faire sans. L’IA n’est pas un gadget : c’est un outil structurant. Voilà pourquoi nous insistons sur la nécessité de créer une charte d’utilisation responsable et éthique de l’IA, aussi bien au Cameroun qu’en Afrique. En Europe, plusieurs médias ont déjà adopté une telle charte. Elle est essentielle pour fixer les règles du jeu, éviter le plagiat, les hallucinations générées par certaines IA, et garantir une pratique professionnelle solide.
Quels sont les défis majeurs pour intégrer efficacement l’IA dans les rédactions ?
Le premier défi, c’est la formation. Il ne suffit pas de savoir que l’IA existe. Il faut apprendre à la maîtriser. Quels outils permettent de retranscrire rapidement des interviews ? Quels outils résument des documents volumineux en quelques secondes ? Quels outils corrigent automatiquement un article ? Il y en a une multitude. Mais encore faut-il savoir leur parler. Aujourd’hui, 90 % des journalistes doivent être formés à ces usages. C’est pourquoi, à Med.AI, nous avons déjà certifié près d’une centaine de professionnels de l’information et de la communication, et nous encourageons vivement les autres à suivre cette voie. Il ne s’agit pas de craindre l’IA mais de la comprendre, car c’est un outil à double tranchant. Un mauvais usage peut nuire à la profession, mais bien utilisée, elle est un atout certain.
Certains craignent une perte d’emplois ou une dévalorisation du journalisme à cause de l’IA. Qu’en pensez-vous ?
Je le dis clairement : l’IA ne remplace pas le journaliste. Ce n’est pas elle qui va aller sur le terrain, mener une interview ou percevoir le contexte humain d’un reportage. Mais elle peut aider à être plus efficace : au lieu d’un article par jour, on peut en produire deux ou trois. Cela ne veut pas dire bâcler, mais optimiser. Cependant, nous devons aussi penser au cadre structurel. C’est pour cela que nous plaidons pour la création d’un Data Center national. Il nous faut une IA tropicalisée, adaptée à nos réalités et alimentée par nos propres données. Cela nous permettrait de créer des partenariats stratégiques avec des géants comme Google, OpenAI, Microsoft, Meta AI, etc...En retour, ces plateformes pourraient subventionner les médias locaux, et nous pourrions négocier des droits d’auteur sur les données journalistiques utilisées par ces IA. C’est aussi une manière de viabiliser économiquement le métier. Si nos contenus alimentent les IA mondiales, il est normal que les journalistes en perçoivent des retombées financières directes, tout comme les artistes touchent des droits quand leurs œuvres sont exploitées.